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Psiu!

Au Brésil, pour interpeller quelqu’un, l’équivalent du « Hé ho », c’est « psiu ! », une interjection au son bien spécifique difficile à orthographier, et encore plus à imiter ! Si vous avez oublié votre monnaie, fait tomber quelque chose sans vous en rendre compte ou que votre amie veut vous montrer quelque chose en plein marché, vous aurez surement droit à un « psiu » bienveillant pour attirer votre attention.

Au début, quand je me faisais « psiuter », je ne réagissais pas tout de suite, jusqu’à ce que le relais solidaire de plusieurs personnes dans la rue me donne l’impression d’être attaquée par un « psiu » géant. Ce « psiu » peut surprendre parce qu’il pourrait ressembler à un sifflement machiste, mais, la plupart du temps, il n’est pas utilisé dans ce sens. On s’y habitue très bien, un peu comme lever le pouce à tout bout de champ, parce que le « psiu » est très efficace, il porte loin sans être gueulard. Je vous conseille néanmoins de le réserver à un usage local, parce que mal interprété, il a un air de convocation autoritaire. En « psiutant » en France, j’ai essuyé des regards désapprobateurs de la part de non avertis qui ont du penser que je traitais bien mal mon amoureux…

Psiu – Os Novos baianos, un groupe de rock majeur des 70’s

Portugais Brésil

Miaou au Braziou

Les brésiliens parlent un portugais plus simple et accessible que le portugais du Portugal, qui a gardé la rigueur grammaticale et les subtilités lexicales dont le parlé populaire s’est largement affranchi. Bonheur de l’étudiante lusophone que je suis, qui peut alors se débrouiller rapidement pour baragouiner la langue de la rue et refaire le monde avec les brésiliens…en attendant de s’approprier une langue écrite restée riche et formelle.

La prononciation aussi n’a rien à voir, un peu comme entre le québécois et le français. Les portugais comprennent parfaitement les brésiliens, mais l’inverse est moins vrai. Entre autres, les brésiliens trouvent que les portugais parlent « avec des fayots (feijão) dans la bouche », c’est-à-dire une langue peu articulée et très marquée par le chiado, une prononciation des S, X et Ch en « Ch ». Ce dernier est d’ailleurs, à moindre échelle, une caractéristique de l’accent de Rio, héritage colonial dit-on. Lorsque je me suis retrouvée dans un commissariat de Lisbonne entrain de porter plainte suite à un vol de papiers, le policier m’a demandé avec étonnement où est-ce que j’avais appris à parler « comme ça ». Au Brésil bien sur ! Et il m’a fait la leçon en m’expliquant que le vrai portugais, madame, c’était celui du Portugal… Eternel sujet que cette relation ambigüe entre les brésiliens et les portugais. Les différents sont aussi nombreux que les blagues de chaque côté de l’Atlantique.

Au début, le portugais du Brésil, pour moi, c’était doux comme un miaulement enjôleur dans mon oreille. Rien que le mot « Brasil » me faisait voyager : il se prononce « Bra-ziou », avec un « r » très légèrement roulé et un « s » qui glisse comme un « z » vers un « ou » final doux, puisque l’accent tonique est sur le « Bra » (essayez ici!) Cette musicalité m’a fait fondre, et puis j’ai eu envie d’apprendre, pour comprendre…oui, l’effet sex-appeal façon« un poisson nommé Wanda » a ses limites quand même !

J’aime le portugais du Brésil qui est une langue très vivante, imagée, pleine de poésie, et dont les adaptations populaires sont une excellente introduction à la culture. Parmi les petites touches apportées à la langue qui en disent long sur la mentalité brésilienne, il y a cet emploi fréquent du diminutif à connotation affective, tendre, ou conviviale : le « inho », « inha» au féminin, qui est mis à toutes les sauces. Un café, c’est un « cafezinho », comme les français qui adorent se prendre un petit café, le petit soulignant le délicieux rituel. L’adjectif petit en lui même, s’il implique qu’il est aussi mignon devient un « pequeninho » (pequeno + inho). Si vous parlez de quelqu’un d’un peu dodu, cela devient un « gordinho », une « gordinha « (gordo, gorda = gros, grosse). Cela marche aussi avec les prénoms votre ami Flavia devient Flavinha. Je suis par exemple souvent « a branquinha » (branca = blanche + inha), la blanchette. Expression utilisée par les amis comme par le pharmacien à qui je demande conseille pour la crème solaire.

Cette manière douce de s’adresser aux gens et de parler des choses m’enchante. Enrober les mots, arrondir les angles, le portugais aime les caresses du langage. La première fois que la caissière du supermarché m’a demandé si j’avais la carte de fidélité en m’appelant « amor » (amour), j’ai été assez surprise. Je revois cette dame obèse au ton lasse, fatiguée de sa journée, patiente devant mon air ahuri, le temps que je comprenne de quoi elle me parlait.

Le jeu marche dans les deux sens. Il y a aussi l’augmentatif ão, pour en rajouter. Si vous êtes un « gordão » (gordo + ão), c’est que vous êtes vraiment très gros. Le « gatinho » (gato = chat + inho) est un joli minet (un beau mec), mais alors le gatão (gato + ão) est une bombe atomique. Simple et efficace. Et s’il vous parle au creux de l’oreille, alors là…

Pour la pédagogie, voici quelques exemples de gatões (gatão au pluriel)

Découvrez la voix magnifique de Marisa Monte :

Negro Gato (chat noir) – Marisa Monte

S’inventer un prénom brésilien

Au Brésil, les noms et prénoms, c’est tout un roman.

Traditionnellement, chacun porte le nom de famille du père et celui de la mère, ce qui donne des dénominations administratives à rallonge, souvent éloignées des noms d’usage. Pour compliquer le tout, il arrive que les membres d’une même famille n’aient pas choisi d’utiliser le même patronyme. Il n’est donc pas toujours évident de deviner un lien familial.
La créativité du peuple brésilien est sans limites lorsqu’il s’agit des prénoms. En dehors des classiques prénoms d’origine portugaise à influence catholique, les parents peuvent faire preuve d’une grande inventivité, et même d’audace, pour trouver un prénom original, porteurs de leurs aspirations ou de leurs affinités.

La législation brésilienne laisse une grande liberté pour faire un pied de nez au formalisme protocolaire de l’état civil. Vous pouvez donc vous laisser inspirer : rêve américain, « telenovela » [1], littérature, révérence religieuse, faune, flore, médicament, tout est possible !

Et pourquoi ne pas s’inventer un prénom ?!
– Prenez par exemple un prénom anglo-saxon (en lui-même déjà très à la mode, le prénom à connotation américaine !), et mélangez-le à la sauce locale, en changeant l’orthographe ou en lui donnant une touche personnalisée. Vous trouvez ainsi des Waxington, Brianne, Richardson, Junior Melo ou Franklin Jesus.
– Rendez-hommage à vos idoles : Disney, Deusarina Venus de Milo, ou Ava Gina (Ava Gardner et Gina Lollobrigida… assemblage malheureux qui, énoncé tout haut, évoque «a vagina » = le vagin)
– Attirez-vous les bonnes grâces du seigneur : Maria Privada de Jesus ou cumulez les références : Godson (fils de dieu en anglais)
– Faites de l’humour : Letsgo Daqui (« let’s go » en anglais et « daqui » = partons d’ici) ou transmettez la bosse des maths : Hypotenusa
– Provoquez les braves gens comme le poète Oswald de Andrade (1890-1954) dont les enfants s’appelaient officiellement Lançaperfume Rodometàlico de Andrade (Lance parfum rodométallique) et Rolando Pela Escada Abaixo de Andrade (Roulant/Roland par l’escalier en bas…).
– Suivez les traditions locales, comme en Amazonie, en mélangeant les prénoms des parents : Samuel + Ana = Samana

Voila pourquoi les prénoms me donnent du fil à retordre. D’abord pour réaliser ce que j’entends en l’absence de repères. Ensuite pour ne pas me marrer spontanément une fois que c’est monté au cerveau… : imaginez Napoleão ou Wagner prononcés avec l’accent nasal !

Que penser de cette pratique typique ? Humour décalé ? Facétie carnavalesque ? Inconscience parentale ? Peu importe paraît-il, parce que si votre prénom ne vous convient pas, vous en utiliserez un autre ou vous utiliserez votre surnom !

Surnommer est d’ailleurs un sport linguistique national, pratiqué avec talent et tendresse. Et il faut une certaine capacité d’observation, idéalement mélangée à de l’humour bienveillant pour faire un bon surnom, à partir d’un trait de personnalité, d’un don, d’une caractéristique physique. Les pratiquants de capoeira [2] par exemple, aiment se baptiser pour favoriser l’intégration au sein du groupe, perpétuant ainsi une longue tradition [3].

Le surnom crée un lien de proximité, et peut être réservé au cercle intime ou s’étendre à votre vie publique. Ainsi « Lula » (calamar), diminutif affectueux de Luiz, est-il le surnom de l’ancien président de la république. Luiz Inacio Ferreira da Silva de son nom original, a fait modifier légalement son nom pour devenir Luiz Inacio Lula da Silva, officialisant ainsi le surnom issu de sa popularité.

Le surnom peut aussi être adopté par simplicité. C’est notamment le cas pour les joueurs de football. Prenez Edson Arrantes de Nascimento, un vrai cauchemar pour un commentateur sportif, alors que Pelé [4], évidemment, c’est plus facile à articuler dans le feu de l’action.

Le monde du football est d’ailleurs une mine d’exemples, cumulant prénoms et surnoms originaux
– Marcos Evangelista de Moraes, c’est Cafu (142 sélections, record brésilien !), en hommage à l’ancien ailier droit brésilien Cafuringa
– Robson de Souza, c’est Robinho (on retrouve le diminutif affectueux “inho”)
– Ricardo Izecson Santos Leite, c’est Kaka, puisque son petit frère n’arrivait pas à prononcer Ricardo. Plus simple à vivre avant de faire carrière en Europe semble t-il.
– Anderson Luis de Carvalho, c’est Nenê. S’appeler « bébé » pour un sportif de haut niveau, c’est assumé par le joueur qui est habitué à ce surnom depuis tout petit.

Encore une illustration de la capacité des brésiliens à se réapproprier les codes, à assimiler les influences multiples, sans trop se prendre au sérieux…

Notes :
1 : Les « telenovelas » sont des feuilletons télévisés, très populaires dans tout le pays et suivis assidûment le soir par les fans.
2 : La « capoeira » est à la fois une forme de lutte, de jeu et de danse. Elle a été introduite au Brésil lors de la période coloniale par les esclaves venus d’Afrique. La capoeira était à l’époque une forme de résistance à l’esclavage. Elle est aujourd’hui enseignée dans des écoles à travers tout le pays. Les participants jouent en cercle deux par deux, au rythme du « Berimbau » (instrument de percussion) et des timbales pendant que les autres chantent des chansons folkloriques.
3 : Les esclaves qui débarquaient au Brésil recevaient un nouveau nom. L’usage des codes et des surnoms était une pratique courante pour les esclaves dans la pratique des activités interdites par les maîtres : capoeira, religion…
4 : Pelé. Fils de « Dondinho » (João Ramos do Nascimento), lui-même footballeur amateur. Les registres de l’état civil et de la paroisse ne s’accordent pas sur son prénom. Edson serait en fait un hommage à Thomas Edison, en l’honneur de l’arrivée de l’électricité dans le village où il est né. Pelé viendrait de la déformation de la prononciation erronée par l’enfant du nom d’un gardien de but appelé Bilé.

Meu nome é Gal (Mon nom est Gal) – Gal Costa