Mes premières contacts avec Cássia Eller dépendaient des caprices aléatoires d’une clé USB branchée à l’autoradio d’une voiture. Au cours de longs trajets toutes vitres ouvertes dans l’état de Bahia, parmi le vrombrissement des camions, le ronronnement du moteur, les secousses de la route fatiguée, la chaleur qui abrutit et tous ces paysages à dévorer, est revenue quelques fois cette question en écoutant « Todo amor que houver nessa vida » (tout l’amour qu’on peut avoir dans cette vie) :
– « dis-moi, qui c’est elle déjà ? »
– « mmhh, elle te plait hein ? »
Sa voix m’interpellait, j’imaginais une brésilienne noire et bien en chair, dans une attitude lascive et douloureuse. Tout faux. C’était aussi la première fois que j’entendais ce prénom qui claque, Cássia.
J’ai décidé de faire sa connaissance. J’ai réalisé que je l’avais déjà au chaud dans mon Iphone, parmi les centaines de musiques brésiliennes que j’ai récupéré au fur et à mesure de mes voyages. J’ai écouté et reconnu certains airs… et pour cause, Cássia Eller est une chanteuse interprète. Et puis, bien après, je suis allée regarder à quoi elle ressemblait… Je suis restée bouche bée devant You tube en regardant son « Malandragem » (fait de s’acoquiner, s’encanailler). Les paroles de la chanson rebondissent avec bonheur sur la mélodie de sa voix, j’aime comme ses variations gutturales jouent avec le texte.
Qui sait peut être que je suis encore une petite fille (garotinha) Cássia pousse le « a » final un brin provocateur,
attendant le bus de l’école, ses yeux roulent, complices
toute seule, (sozinha) le ton qu’elle prend, c’est déjà presque une déclaration d’indépendance,
qui en a marre de ses chaussettes trois quarts et qui prie secrètement pour être une « mauvaise fille ». Qui sait dit elle, le prince se révèle être ennuyeux et commence à me gonfler, peut être que la vraie vie ce n’est pas rêver…
D’où le refrain : Je demande juste à Dieu un peu de « malandragem »… Elle a envie de s’encanailler un peu, elle voudrait un peu de malice, un peu de coquinerie…
et s’explique ou s’excuse… car je suis une enfant et je ne connais pas la vérité.. car je suis une poète et je n’ai pas appris à aimer…
En parcourant d’autres vidéos, je suis allée de suprises en suprises, ses interprétations variant presque en fonction de son look! Look trash avec voix douce et vice versa. J’aime comme son ambivalence fragilité/force se mélange avec sa sensibilité, ses sourires lumineux et ses mimiques de rockeuse. Voilà une sacré femme à la puissance androgyne, avec une énergie franche, un sourire doux, un visage fin et une voix grave presque rauque. Une femme éclectique de caractère, avec son air de se moquer de ce qu’on pense, qui chante ce qui lui plait, du rock, du grunge, du punk, du blues, du samba ou même Edith Piaf! Elle s’implique Cássia, elle n’hésite pas à se donner à fond dans ses interprétations, dans le jeu, dans les métamorphoses. Il suffit de regarder les pochettes de ses albums pour s’en rendre compte : crane rasée et crête iroquoise ou bien coupe au carré presque sage. Elle s’amuse, elle assume sa bisexualité. Elle chante avec son cœur depuis toujours, avec tant de générosité que certains disent qu’elle y a laissé sa peau, enchainant les concerts en 2001, l’année où elle est décédée à 39 ans, foudroyée par une crise cardiaque.
Cássia fait partie de ces chanteurs brésiliens plein de saveur, des figures qui ont des gueules, des voix, des physiques, des vies pas banales, loin des productions commerciales lisses et formatées. Chapeau, Cássia Eller assure, avec elle on sait où on en est !
Découvrez le talent éclectique de Cássia Eller en écoutant ma playlist sur You Tube