Les brésiliens parlent un portugais plus simple et accessible que le portugais du Portugal, qui a gardé la rigueur grammaticale et les subtilités lexicales dont le parlé populaire s’est largement affranchi. Bonheur de l’étudiante lusophone que je suis, qui peut alors se débrouiller rapidement pour baragouiner la langue de la rue et refaire le monde avec les brésiliens…en attendant de s’approprier une langue écrite restée riche et formelle.
La prononciation aussi n’a rien à voir, un peu comme entre le québécois et le français. Les portugais comprennent parfaitement les brésiliens, mais l’inverse est moins vrai. Entre autres, les brésiliens trouvent que les portugais parlent « avec des fayots (feijão) dans la bouche », c’est-à-dire une langue peu articulée et très marquée par le chiado, une prononciation des S, X et Ch en « Ch ». Ce dernier est d’ailleurs, à moindre échelle, une caractéristique de l’accent de Rio, héritage colonial dit-on. Lorsque je me suis retrouvée dans un commissariat de Lisbonne entrain de porter plainte suite à un vol de papiers, le policier m’a demandé avec étonnement où est-ce que j’avais appris à parler « comme ça ». Au Brésil bien sur ! Et il m’a fait la leçon en m’expliquant que le vrai portugais, madame, c’était celui du Portugal… Eternel sujet que cette relation ambigüe entre les brésiliens et les portugais. Les différents sont aussi nombreux que les blagues de chaque côté de l’Atlantique.
Au début, le portugais du Brésil, pour moi, c’était doux comme un miaulement enjôleur dans mon oreille. Rien que le mot « Brasil » me faisait voyager : il se prononce « Bra-ziou », avec un « r » très légèrement roulé et un « s » qui glisse comme un « z » vers un « ou » final doux, puisque l’accent tonique est sur le « Bra » (essayez ici!) Cette musicalité m’a fait fondre, et puis j’ai eu envie d’apprendre, pour comprendre…oui, l’effet sex-appeal façon« un poisson nommé Wanda » a ses limites quand même !
J’aime le portugais du Brésil qui est une langue très vivante, imagée, pleine de poésie, et dont les adaptations populaires sont une excellente introduction à la culture. Parmi les petites touches apportées à la langue qui en disent long sur la mentalité brésilienne, il y a cet emploi fréquent du diminutif à connotation affective, tendre, ou conviviale : le « inho », « inha» au féminin, qui est mis à toutes les sauces. Un café, c’est un « cafezinho », comme les français qui adorent se prendre un petit café, le petit soulignant le délicieux rituel. L’adjectif petit en lui même, s’il implique qu’il est aussi mignon devient un « pequeninho » (pequeno + inho). Si vous parlez de quelqu’un d’un peu dodu, cela devient un « gordinho », une « gordinha « (gordo, gorda = gros, grosse). Cela marche aussi avec les prénoms votre ami Flavia devient Flavinha. Je suis par exemple souvent « a branquinha » (branca = blanche + inha), la blanchette. Expression utilisée par les amis comme par le pharmacien à qui je demande conseille pour la crème solaire.
Cette manière douce de s’adresser aux gens et de parler des choses m’enchante. Enrober les mots, arrondir les angles, le portugais aime les caresses du langage. La première fois que la caissière du supermarché m’a demandé si j’avais la carte de fidélité en m’appelant « amor » (amour), j’ai été assez surprise. Je revois cette dame obèse au ton lasse, fatiguée de sa journée, patiente devant mon air ahuri, le temps que je comprenne de quoi elle me parlait.
Le jeu marche dans les deux sens. Il y a aussi l’augmentatif ão, pour en rajouter. Si vous êtes un « gordão » (gordo + ão), c’est que vous êtes vraiment très gros. Le « gatinho » (gato = chat + inho) est un joli minet (un beau mec), mais alors le gatão (gato + ão) est une bombe atomique. Simple et efficace. Et s’il vous parle au creux de l’oreille, alors là…
Pour la pédagogie, voici quelques exemples de gatões (gatão au pluriel)
Découvrez la voix magnifique de Marisa Monte :
Negro Gato (chat noir) – Marisa Monte