Archives du mot-clé Mata Atlantica

Foi ou Show

Foi ou show?

Ilha Grande, petite Ile au sud de Rio, une fin d’après-midi. Je rentre de la magnifique plage de Lopes Mendes pour laquelle j’ai traversé toute l’île à pied, marchant avec bonheur au milieu de la « Mata Atlantica », cette forêt tropicale originelle du littoral, malheureusement en voie de disparition.

J’entre dans le village à la nuit tombée, flâne, me perd au détour des ruelles, suit les lumières, les bruits. Le petit chemin qui descend la colline me guide à travers les maisons et déboule sur une petite église au toit de bois et murs de chaux blanche. Il se passe quelque chose, les néons éclairent en jauni, rosé, verdâtre et j’entends des voix, une clameur, un drôle de remue-ménage. Je me hisse sur mes tongs et me perche à la fenêtre pour glisser un œil discret sur la messe. Je me cale, à moitié en équilibre, pour admirer le show. Il y a un prêtre, beau métis habillé « chic » : chemise pelle à tarte jaune kaki, costume de velours violet, micro à la main avec le fil qui traîne, il transpire, il agite les mains…tiens tiens, mais que fait-il? Je regarde à ses pieds et découvre avec stupéfaction quelques jeunes femmes agenouillées, entrain de remuer un mouchoir, ou bien de pleurer, ou encore de gesticuler en geignant. L’assistance encourage ces démonstrations émotionnelles en chantant, avec une énergie convaincue, presque dansée. Les assistants du prêtre, également vêtus d’un costume incongru pour la température ambiante, chauffent la salle à coup de refrains et de lancers de mains. Les participants sont sur leur trente-et-un.  Hommes en chemises et pantalons, femmes en robes blanches ou pastel, toutes en dentelles et frous frous, petites filles aux cheveux tressés et barrettes roses à paillettes.

La musique baisse, les femmes retournent à leur place, le calme se fait, le prêtre va sermonner. Tous sont attentifs, certains boivent ses paroles, embarqués par sa voix qui gueule dans les enceintes. Je suis à une place de choix, sur le côté un peu à l’arrière, comme dans les coulisses. Le prédicateur interpelle la salle et de temps en temps je peux le voir se retourner pour se rassembler, réajuster sa tenue, éponger son front, regarder ses compères, puis reprendre sa harangue au micro, meilleur qu’un animateur de télévision. Il faut dire qu’il a du charisme, il envoie les watts le « padre », on a envie d’y croire. Je prête attention au fond du discours, j’ai déjà les oreilles rebattues de Jésus et du Seigneur, et c’est vrai que tout pourrait devenir bien plus simple si je laissais Dieu transformer ma vie. Jésus peut me sauver, il est la solution à tous mes problèmes, je pense à ces prospectus pour Mohamadou le marabout africain qui travaille à distance, distribué à la sortie du métro parisien.

Forcément ça m’intéresse et ça m’amuse, car je pratique le tourisme des églises évangéliques & Co depuis… mes 14 ans ! A l’époque un séjour linguistique m’a amenée malgré moi chez les Mormons de l’Idaho et m’a au moins donné l’occasion d’observer de près cette sacrée organisation. Depuis j’ai un œil attentif au business de ces églises, j’aime comprendre comment se crée leur commerce, réflexe probablement nourri par l’effet d’une déformation professionnelle. Eglises relais, réconfort, reconversion, réconciliation, ressource, repère, rapaces, redoutables…

Au Brésil, je n’en finis pas d’être hallucinée. Les prêtres chantent à la télé et vendent des milliers de disques. La première fois que j’ai vu un beau gosse habillé en prêtre chanter comme un lover les louanges de Jésus au cours d’une émission de variétés, c’était dans la grande salle d’attente d’une clinique, et toute le monde avait l’air de trouver ça normal ! A côté, l’enthousiaste chanteur de « Jésus reviens » du film la vie est un long fleuve tranquille est un amateur !

Dans ce pays, les différentes églises sont de puissants acteurs médiatiques et politiques. « Rede Record », propriété d’un businessman et leader religieux de l’église néo-pentecôtiste, est la deuxième chaîne de TV du pays. Marina Silva, ancienne ministre de l’environnement sous Lula, arrivée troisième à la présidentielle de 2010 avec 19% des voix, se réclame de l’Assemblée de Dieu, l’église pentecôtiste la plus puissante du Brésil et ainsi s’expliquerait son score inattendu.

Ces églises maîtrisent les codes de communication, appliquent un marketing pointu à base de produits dérivés, et ont un réseau de distribution efficace. J’ai vu des bâtiments avec sur le fronton une inscription à rallonge du genre « Eglise du Seigneur Rédempteur du Règne Universel etc. »  qui est déjà tout un programme, immenses  et flambants neufs au milieu de quartiers délabrés, plus imposants encore que des centres commerciaux. Le portail est toujours grand ouvert, depuis la route on peut voir l’alignement des chaises en plastique sous les néons, et si c’est l’heure, entendre le grésillement des micros et l’écho rassembleur des voix des prêcheurs.

Les « crentes », les croyants comme on les appelle en portugais, forment une bande à part au Brésil, de plus en plus nombreuse, au sein de multiples courants, dont certains très conservateurs. Loin de l’image un peu « olé olé » de certains clichés sur les brésiliens, le « crente » suit un mode de vie recommandé par l’église, il fait de bonnes actions que Dieu lui rendra, en particulier les donations à sa paroisse, il est « sain » et a des pensées « pures ». Les « crentes » prosélytes sont faciles à reconnaitre, habillés stricts au pays de l’informel vestimentaire, costume ou chemisettes comme des uniformes, un air coincé qui détonne, celui de ceux qui sont dans le droit chemin ou mieux, de ceux qui savent. Certains prêtres proposent même des conversions ou des exorcismes « minute » spectaculaires.

Les fidèles font partie d’une grande famille. J’ai croisé des hordes (des centaines parfois !) de polos identiques avec badges pendus au cou (pour éviter aux brebis de s’égarer ?) dans des endroits touristiques soudainement envahis. C’est que l’église organise même les loisirs et déplace des troupeaux reconnaissables à leurs masses monochromes. Les animateurs GO encadrent tout ce petit monde, comme une sortie de colonie de vacances.

Le lendemain de cette messe spectacle à Ilha Grande, j’attendais sur l’embarcadère le bateau qui me ramènerait vers le continent. Les insulaires se mêlent aux touristes, ballots, sac à dos et valises prêts à s’entasser dans les cales des goélettes-taxi. Et alors j’aperçois notre homme, le prêtre de la veille, la sape qui claque et le sourire séducteur, qui fait partie des passagers. Il attire l’attention parce qu’il bavarde assez fort, il est avec ses acolytes qui ont préféré le bermuda ce jour là. Je l’observe… il frime. Et là où il me fait vraiment marrer, c’est quand il reluque sans discrétion les fesses de la vendeuse de billets avant de lui faire je ne sais quelle prière à l’oreille…

Pour en savoir plus sur les églises évangélistes au Brésil :
La Vie Catholique : Face aux évangélistes la contre-offensive s’organise
Le Monde : Au Brésil, l’église évangélique étend sa toile

Et aussi, sur ma playlist Religion Brésil sur You Tube
Documentaire de France 24 : Marcelo Rossi, champion du catholicisme brésilien. Ce prêtre de la rénovation charismatique catholique est un des plus gros vendeurs de disques au Brésil, avec plus de 11 millions de copies!
Des clips : je vous ai sélectionné quelques tubes!
Une émission Show du Padre Fabio de Melo, prêtre catholique : n’hésitez pas à faire défiler le curseur pour capter quelques moments clés d’exaltation!

Je ne peux pas résister, voici un clip étonnant, avec le « padre » qui chante à la plage

sao-conrado

S’envoyer en l’air à Rio de Janeiro

M’envoyer en l’air, ça m’a toujours beaucoup intéressée. Mais je suis incapable de faire ça toute seule, je suis bien trop émotive pour assurer. Avec quelqu’un qui s’occupe de la technique, alors là, oui, mille fois oui ! Dans ce cas, je m’occupe de choisir le décor, et c’est grand luxe. Au Brésil, j’ai complété le grand chelem. Après le parachute au dessus des chutes Victoria, le parapente à Annecy, le deltaplane à Rio !

Un jour ça m’a pris comme ça (il ne faut pas trop réfléchir), je me lève avec un temps magnifique, je cherche un moniteur sur internet, l’appelle, et nous faisons affaire : « Tudo bem, on passe te prendre dans une demi-heure, et on y va sans tarder pour profiter du soleil » ! Je suis déjà très excitée. 3 heures plus tard, le concierge prévient que quelqu’un m’attend en bas. Oui bon j’étais prête, au taquet même, depuis 2h30 et j’avais déjà rappelé deux fois pour m’entendre dire « oui oui ! on arrive on arrive ! ». C’est ce qui s’appelle se faire désirer : dans mon enthousiasme j’avais un peu oublié que les horaires sont parfois très élastiques à Rio…

Encore un détour le temps de passer chercher une anglaise dans une auberge de jeunesse, nous voici dans le pick-up, les deux blondes avec chacune son moniteur, en route vers Sao Conrado, une très belle plage de la zone sud de Rio, dont le sable moelleux et accueillant fera office de piste d’atterrissage. Passé le très chic Leblon, nous longeons la côte en bas de la favela Vidigal juchée sur la colline qui fait la jonction entre les beaux quartiers, puis nous montons vers la rampe de départ, nichée dans la forêt de Tijuca. Cette forêt, en plein cœur de Rio, fait partie du parc national de Tijuca. La plus grande forêt urbaine du monde anime joyeusement la ville  du sifflement des singes et du chant des oiseaux, et offre un refuge facile d’accès à l’agitation frénétique citadine. J’aime ces milieux qui se mélangent dans la ville : les hibiscus et autres fleurs tropicales entre les trottoirs, les arbres gigantesques aux feuilles immenses parmi les immeubles et ces grandes taches de vert végétal qui égayent l’architecture chaotique et inégalitaire. Je garde un souvenir ému de ma rencontre avec un superbe toucan aux yeux bleus, installé peinard à la cime de l’arbre au dessus d’un arrêt de bus du centre… ça change des pigeons !

Le chemin est gai, nous bavardons, les deux compères retardataires font ça toute l’année, monter les clients et les faire décoller. Voila qui me rassure, après tout je paye quand même pour me jeter dans le vide en faisant confiance à quelqu’un que je ne connais pas ! Je me fie juste à mon postulat : il n’a pas envie de mourir aujourd’hui, c’est une garantie ça non ? L’air de rien je pose quelques questions de sécurité, ce qui les fait bien marrer, et je les taquine aussi légèrement… bref je fais la maline pour oublier le trac. Mais qu’est-ce qui me prend là ? Et s’ils jouaient à me faire vomir ?! Ouf ils ne sont pas trop susceptibles et ricanent, amadoués par mon portugais. Ma voisine anglaise, elle, vient de visiter tous les spots de Rio avec des agences anglo-saxonnes destinées aux touristes qui achètent leurs excursions sur place, et « c’est bien pratique parce que c’est plus facile, c’est sécurisé et en anglais ». Effectivement ce n’est pas négligeable, quand on sait par exemple qu’à Rio il n’existe pas de plan officiel du réseau de bus* ! Allez vous débrouiller pour vous balader sereinement en évitant les favelas…

La route goudronnée nous emmène dans une lente ascension au milieu des arbres qui nous protègent du bourdonnement de la ville, l’air se rafraîchit et sent la terre humide. Arrivés sur la rampe de lancement, il y a déjà une file indienne de deltaplanes installés attendant l’envol et des touristes flageolants qui font les cent pas. Juste en dessous, l’air de décollage des parapentes. La vue sur la plage et la baie est vertigineuse, magnifique. Nous prenons notre tour, le soleil va bientôt se coucher et nous occupons l’attente par quelques consignes et l’harnachement de rigueur. Puis enfin… quand faut y aller, faut y aller ! Le deltaplane est un gros engin complexe à manœuvrer, il n’est pas question d’hésiter, sinon c’est gadin au bout du ponton, et ça, c’est pas une option.

Courir sans s’arrêter, en regardant droit devant, pour essayer d’aller attraper l’horizon maritime avec ses pieds. Youhouuuu! Je crie comme une dératée, ma bouche est déformée par le sourire jubilatoire qui s’accroche aux oreilles, juste le temps de réaliser que je suis vivante, en l’air, et que pour ça tient… J’oublie que je me sens comme un sac à patate avec les jambes tremblantes qui pendouillent dans le vide pour m’en mettre plein les yeux. Quelle délicieuse sensation forte, pouvoir tourner comme un oiseau au dessus de Rio, voisiner dans les nuages avec le Christ du Corcovado, s’offrir un autre point de vue !

J’observe l’alternance des favelas et des grattes ciels, petites bicoques de bric et broc agglutinées sur les collines contre tours cossues érigées sur le plat. Des mondes qui s’intercalent dans des zones bien délimitées, vu du ciel ça saute aux yeux. J’admire la forêt, majestueuse, préservée, dominante avec ses têtes rocheuses, quelle luxuriance ! Le regard porte loin et permet ’appréhender l’immensité sophistiquée de la baie de Guanabara. Le site naturel de cette ville est exceptionnel : quelle émotion ça a du être pour ceux qui sont arrivés par la mer il y a bien longtemps…Même à cette altitude, l’air est doux sur les épaules et les  mollets nus, la chaleur tropicale est palpable. Je me demande ce qui est passé par la tête de cet explorateur français qui a fondé ici une éphémère colonie française. Comment ce De Villegagnon a pu baptiser cet endroit d’un nom aussi glacial que la France Antarctique ! Quelle drôle d’idée ! Peut être, comme moi, a-t-il ressenti le grand frisson ?

Gal Costa – Passarinho (petit oiseau)