Un chanteur de Musique Populaire Brésilienne (MPB) au très sélectif et prestigieux théâtre de Châtelet, quelle originalité parisienne. Au Brésil, la musique est partout et pour tous, à la télévision, dans les bars, sur le perron des maisons, à la plage. Improvisée, partagée, c’est un moment de communion entre un artiste et un public très impliqué à chanter, danser, s’exprimer.
A Paris, j’ai eu le privilège de découvrir les personnalités de Maria Bethania jouant la Diva à Pleyel, ou Marisa Monte et Caetano Veloso feignant généreusement l’indifférence devant l’acoustique exécrable du Grand Rex. Des souvenirs vibrants dans mon cœur de fan qui rêve de concerts au Brésil. (Seu Jorge à Rio, le rêêeêve !). Et ce soir, Gilberto Gil (prononcez Giouberto Giou – en portugais du Brésil, les « l » se prononcent « ou ») au théâtre du Châtelet, je me demande d’où viendra la surprise. J’avais pris les billets dans un élan inconditionnel, sans même consulter le programme ! Je découvre, enchantée, les raisons du choix d’un tel écrin : ce monsieur facétieux à la présence élégante et charmante, seul sur scène avec ses deux guitares, va assurer un concert acoustique à 72 ans ! Dans ce théâtre à l’italienne, coincée dans le siège avec les genoux dans le nez, mes coudes repliés, mon balancement chaloupé des hanches s’annonce… intériorisé.
Gilberto Gil démarre en propulsant ses notes colorées, qui se répandent comme une nuée de papillons dans la salle et viennent titiller l’imaginaire ou les souvenirs. Il se diffuse une puissante énergie gracile et joyeuse qui crée autour des citadins parisiens une suave atmosphère tropicale. Ses embardées de sons jubilatoires (écoutez ses ouou, ses ahaha, caractéristiques ! ) chatouillent doucement une audience quasi révérencieuse.
Gil caresse la salle avec son français, sans oublier un clin d’œil aux brésiliens en portugais, avec cette complicité qui semble dire « oui, je sais, ici c’est Paris, tudo bem, on va les faire se relaxar (se détendre) . Avec sa chanson « touche pas à mon pote », le ton est donné, ce soir on n’est pas en mode Bossa Nova guindée, le menu c’est la convivialité, l’extrême sensibilité et la douceur musicale. Je me sens fondre. Le Brésil me manque, lui et moi sommes en relation à distance, et ce soir je suis rassérénée, je reçois ses messages qui me disent « je suis là, je ne t’oublie pas ». La voix de Gilberto, avec ses intonations espiègles et si gaies imprègnent les pores de ma peau, m’abreuvent de Brésil, je me sens enveloppée de « brésiliannité ». Je relâche oui… Le sourire aux lèvres, je découvre chaque nouveau morceau avec une impatience gourmande. Je fredonne avec mes voisines, une bande de dames brésiliennes très chics, qui font tourner les jumelles et accueillent les titres avec des « ah ! » et des « hum ! » langoureux, soupirs de satisfaction sensuelle. Gilberto encourage le public : « chantez avec moi ! ». Il rame un peu, alors patient, amusé, il répète ses refrains dans un ralentissement pédagogue.
Je voyage dans l’histoire avec une reprise de Desafinado qui nous mène aux débuts de la Bossa Nova, une époque de foisonnement créatif et d’audace musicale au Brésil. Puis Gilberto reprend sa version de No Woman No Cry de Bob Marley, qui avait fait découvrir le reggae au Brésil. Succès immédiat et non démenti pour le reggae, qui se marie parfaitement avec la MPB dans les enceintes des baraques de plages où il fait bon contempler la splendeur balnéaire en se réhydratant avec une bière bien accompagnée.
Gilberto continue avec Three Little Birds . Avec un sens de l’ à propos, il enchaine et siffle comme un pinson dans Esoterico , comme pour dédramatiser les paroles du samba, qui parlent bien sûr d’amours malheureuses !
De nouveau, il nous encourage : « chantez avec moi ! ». Une rumeur inaudible lui répond. Au Brésil, la musique est un art « participatif », dans l’enceinte de ce théâtre, on dirait plutôt qu’elle descend de l’artiste vers le public…mais nous avons des circonstances atténuantes, car chanter en portugais avec des variations vocales dignes d’une cuica, ce n’est pas si évident !
Puis il change de guitare et joue les tubes qui réveillent les non-lusophones hypnotisés par les susurres du samba, enfin les brésiliens de la salle donnent de la voix.
En terminant avec l’autrement rythmé Toda Menina Baiana, on sent qu’il n’a livré qu’une infime version jazzy de son répertoire… Rappel, clap clap, j’ai envie de crier : mais uma , mais uma ! (une autre! une autre!). Le public est debout à l’unanimité mais le rappel est policé, je suis un peu déçue par ce manque de chaleur… Ah ! j’aimerais que la perfusion de ce nectar portugais dure encore des heures pour faire le plein jusqu’à une prochaine visite au pays. Heureusement, dans quelques jours, un autre concert : en attendant d’aller à Rio, je vais voir Flavia Coelho.
A (re) découvrir
Gilberto Gil, Caetano Veloso, Maria Bethânia, Gal Costa ont publié en 1976 un album, Doces Barbaros , pour célébrer les dix ans de carrière solo de chacun des membres. Un bon délire hippie aussi…
Marisa Monte
Maria Bethania, Fera Ferida un de ses grands tubes, écrit par Roberto Carlos le chanteur, pas le joueur!)
Seu Jorge
Caetano Veloso, extrait de son dernier album Abraçaço
Flavia Coelho