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Métro c’est trop

Pour se déplacer à Sao Paulo, la plus grande ville du Brésil et d’Amérique latine, plusieurs options :

–          Soit vous êtes très riche et vous évoluez en hélico. Le ciel est une zone du trafic citadin à part entière. On entend les allées et venues des puissants qui polluent en apesanteur. Les hélicotaxis sillonnent les sommets des gratte-ciels pour déposer leurs clients sur les toits. Le temps en volant, c’est de l’argent !

Helicoptero_sobre_a_prefeitura_de_São_Paulo

–        Ou bien vous avez quand même les moyens de posséder une voiture et vous êtes joueur, et vous affrontez les axes saturés sur des dizaines de kilomètres. Par la route, impossible de savoir si vous allez mettre quinze minutes ou une heure dans les embouteillages légendaires de cette ville tentaculaire. Un pari systématique.

Traffic jam in Marginal Pinheiros, Sao Paulo city

–          Ou encore vous n’êtes ni l’un ni l’autre et vous prenez les transports en commun. Le bus, vous cumulez alors transport bondé et risque de bouchons ; le train ou le métro, si vous êtes sur le parcours des trop rares lignes disponibles. Dans les deux cas, vous êtes « un héros du quotidien ».

Wagons metro SP

Comme souvent au Brésil, l’inertie est inversement proportionnelle à la richesse. L’écart entre la réalité vécue par une élite fortunée et celle de la majorité des gens est abyssal, en particulier en matière de service public, où l’argent permet de se réfugier dans un couteux système privé.

Pour le touriste, il n’est pas forcément évident de se rendre compte de l’enfer des trajets quotidiens en transport en commun. Dans les grandes villes, il emprunte les taxis par facilité et/ou sécurité (et c’est déjà parfois toute une aventure !) et pour se déplacer dans le pays, il profite d’un système de liaisons interurbaines en cars grand confort, adaptés aux distances immenses du territoire.

Onibus executivo

Avec mes amis paulistes, j’aime bien jouer à « vis ma vie de brésilien » : je les suis dans leurs activités quotidiennes et ils m’expliquent « comment ça se passe ici ». Un jour quand je les ai vu se frotter les mains en me disant « ah ah ! il faut que tu découvres a hora do rush (l’heure de pointe) dans le métro », j’ai flairé l’embrouille.

La Sé est une des stations centrales du réseau de métro, là ou deux lignes principales se croisent, une sorte d’équivalent local du Chatelet les Halles parisien. Une fin d’après-midi, nous entrons tels des explorateurs curieux dans les longs couloirs du métro, et nous coulons parmi les flots de voyageurs. Arrivée au promontoire central, accoudée sur la rambarde du haut des escaliers, je baisse mon regard sur les différents quais.

Stupeur : quelle foule !

Fila metro SP File devant le metro

A Sé, avant même d’être transporté, il faut temporiser : une demi-heure, ou plus. Faire la queue rien que pour pouvoir monter dans un wagon. S’entasser devant les quais dans une file encadrée par des barrières. Je pense à ces voyageurs qui doivent piétiner alors qu’ils ont déjà leur journée dans les pattes. Endurer la promiscuité dans un souterrain pour pouvoir rentrer chez eux à une heure difficile à calculer. La fatigue de l’attente est une réalité quotidienne de milliers de travailleurs. La scène m’évoque les bétaillères et me laisse une sensation de malaise. Mes souvenirs du RER A matinal me semblent une expérience d’inconfort dérisoire. L’Ile de France ne connaît pas sa chance !

Pour réguler les flux de voyageurs et limiter l’agglutinement sur les quais, la compagnie de métro a mis en place des animations appelées seis na Sé (six heures à Sé) aux points de passage en surplomb. Des danseurs, des groupes de musique, des panneaux lumineux interactifs incitent à flâner dans les couloirs pendant l’heure du pic.

Danse Seis na Séanimations Seis na Sé

Face à cette brutale cohabitation humaine, forcée par la nécessité d’un déplacement économique et l’insuffisance d’infrastructures adaptées, les divertissements ont du succès. Certains s’arrêtent, le temps d’une chanson, d’un spectacle de danse. Les rires et les applaudissements sont comme des petites bulles d’oxygène pour ces « usagers » aux visages résignés qui vont bientôt manquer d’air.

De quoi faire la grève et même la révolution :

L’enfer quotidien des transports en commun, article du Monde de juin 2013

L’histoire du mouvement protestataire initié en juin 2013

Pour comprendre la révolte : « J’ai mal à mon pays », article du Monde de juin 2013

Et aussi un focus sur Sao Paulo à l’heure de la « copa » : l’envers du stade : Sao Paulo ou l’impossibilité d’une ville, article du monde de juin 2014

Dénonciation en musique : le rap du bus par Projota

Lenine, chanteur rock, chante Rua da passagem (« embouteillages ») et les réalités sociales en filigrane