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Havaianas

T’as tes tongs?

J’ai toujours aimé les tongs. Gamine, ça voulait dire les vacances au soleil, au chaud, les petits pieds tous blancs en liberté dans le seul modèle de l’époque, une lanière en tissu arc en ciel reliée à une semelle noire au couinement spongieux. Je trainais mes savates à la mer ou à la piscine, dans les pinèdes, la garrigue ou les vignes, environnements alors synonymes de paysages aux odeurs et couleurs très exotiques pour une jeune normande.

« T’as tes tongs ? » ça sonne bien ! Les pragmatiques anglais les appellent « flip flop », les canadiens eux disent « gougoune », là j’ai du rater quelque chose. Pour moi, entendre à mes pieds leur « clap clap » si caractéristique dans mon appartement parisien a toujours eu un effet pavlovien de détente immédiate. J’ai essayé différents styles : en plastique odorant chinois, à sequins balinais, zori japonaises en paille, en cuir du Maghreb, sud-africaines increvables en pneu… sans pour autant succomber aux claquettes, je tiens à le préciser ! Impossible de chausser ces vilaines cousines éloignées dont la bande velcro horizontale sous les orteils évoque pour moi les cures thermales ou les embouteillages d’estivants sur la côte d’Azur.

Au Brésil, premier producteur mondial, la référence en la matière (caoutchouc) est la marque Havaianas, lancée dans les années 60, et dont le nom est presque devenu un générique pour les « chinelos», les tongs en portugais. Comme les brésiliens sont fiers du « made in Brasil », les Havaianas se retrouvent parmi toutes les classes sociales. Il y en a pour tous les goûts et à tous les prix : basiques, colorées, décorées, compensées, accessoirisées… Leurs semelles sont usées dans tout le pays : blanches tout terrain achetées au supermarché du coin ou talons chatoyants et dessus strass de couleur assortie à la manucure …

Au paradis de la tong, hommes et femmes vont nu-pieds toute l’année, sans avoir l’air de touristes ou de glandeurs asociaux. Surement une des raisons pour lesquelles au Brésil, je me suis sentie tout de suite à l’aise dans mes pompes.

Havaianas chegueiii Havaianas globe trotteuses

Sandália de prata (sandales d’argent) – João Gilberto

Psiu!

Au Brésil, pour interpeller quelqu’un, l’équivalent du « Hé ho », c’est « psiu ! », une interjection au son bien spécifique difficile à orthographier, et encore plus à imiter ! Si vous avez oublié votre monnaie, fait tomber quelque chose sans vous en rendre compte ou que votre amie veut vous montrer quelque chose en plein marché, vous aurez surement droit à un « psiu » bienveillant pour attirer votre attention.

Au début, quand je me faisais « psiuter », je ne réagissais pas tout de suite, jusqu’à ce que le relais solidaire de plusieurs personnes dans la rue me donne l’impression d’être attaquée par un « psiu » géant. Ce « psiu » peut surprendre parce qu’il pourrait ressembler à un sifflement machiste, mais, la plupart du temps, il n’est pas utilisé dans ce sens. On s’y habitue très bien, un peu comme lever le pouce à tout bout de champ, parce que le « psiu » est très efficace, il porte loin sans être gueulard. Je vous conseille néanmoins de le réserver à un usage local, parce que mal interprété, il a un air de convocation autoritaire. En « psiutant » en France, j’ai essuyé des regards désapprobateurs de la part de non avertis qui ont du penser que je traitais bien mal mon amoureux…

Psiu – Os Novos baianos, un groupe de rock majeur des 70’s

sao-conrado

S’envoyer en l’air à Rio de Janeiro

M’envoyer en l’air, ça m’a toujours beaucoup intéressée. Mais je suis incapable de faire ça toute seule, je suis bien trop émotive pour assurer. Avec quelqu’un qui s’occupe de la technique, alors là, oui, mille fois oui ! Dans ce cas, je m’occupe de choisir le décor, et c’est grand luxe. Au Brésil, j’ai complété le grand chelem. Après le parachute au dessus des chutes Victoria, le parapente à Annecy, le deltaplane à Rio !

Un jour ça m’a pris comme ça (il ne faut pas trop réfléchir), je me lève avec un temps magnifique, je cherche un moniteur sur internet, l’appelle, et nous faisons affaire : « Tudo bem, on passe te prendre dans une demi-heure, et on y va sans tarder pour profiter du soleil » ! Je suis déjà très excitée. 3 heures plus tard, le concierge prévient que quelqu’un m’attend en bas. Oui bon j’étais prête, au taquet même, depuis 2h30 et j’avais déjà rappelé deux fois pour m’entendre dire « oui oui ! on arrive on arrive ! ». C’est ce qui s’appelle se faire désirer : dans mon enthousiasme j’avais un peu oublié que les horaires sont parfois très élastiques à Rio…

Encore un détour le temps de passer chercher une anglaise dans une auberge de jeunesse, nous voici dans le pick-up, les deux blondes avec chacune son moniteur, en route vers Sao Conrado, une très belle plage de la zone sud de Rio, dont le sable moelleux et accueillant fera office de piste d’atterrissage. Passé le très chic Leblon, nous longeons la côte en bas de la favela Vidigal juchée sur la colline qui fait la jonction entre les beaux quartiers, puis nous montons vers la rampe de départ, nichée dans la forêt de Tijuca. Cette forêt, en plein cœur de Rio, fait partie du parc national de Tijuca. La plus grande forêt urbaine du monde anime joyeusement la ville  du sifflement des singes et du chant des oiseaux, et offre un refuge facile d’accès à l’agitation frénétique citadine. J’aime ces milieux qui se mélangent dans la ville : les hibiscus et autres fleurs tropicales entre les trottoirs, les arbres gigantesques aux feuilles immenses parmi les immeubles et ces grandes taches de vert végétal qui égayent l’architecture chaotique et inégalitaire. Je garde un souvenir ému de ma rencontre avec un superbe toucan aux yeux bleus, installé peinard à la cime de l’arbre au dessus d’un arrêt de bus du centre… ça change des pigeons !

Le chemin est gai, nous bavardons, les deux compères retardataires font ça toute l’année, monter les clients et les faire décoller. Voila qui me rassure, après tout je paye quand même pour me jeter dans le vide en faisant confiance à quelqu’un que je ne connais pas ! Je me fie juste à mon postulat : il n’a pas envie de mourir aujourd’hui, c’est une garantie ça non ? L’air de rien je pose quelques questions de sécurité, ce qui les fait bien marrer, et je les taquine aussi légèrement… bref je fais la maline pour oublier le trac. Mais qu’est-ce qui me prend là ? Et s’ils jouaient à me faire vomir ?! Ouf ils ne sont pas trop susceptibles et ricanent, amadoués par mon portugais. Ma voisine anglaise, elle, vient de visiter tous les spots de Rio avec des agences anglo-saxonnes destinées aux touristes qui achètent leurs excursions sur place, et « c’est bien pratique parce que c’est plus facile, c’est sécurisé et en anglais ». Effectivement ce n’est pas négligeable, quand on sait par exemple qu’à Rio il n’existe pas de plan officiel du réseau de bus* ! Allez vous débrouiller pour vous balader sereinement en évitant les favelas…

La route goudronnée nous emmène dans une lente ascension au milieu des arbres qui nous protègent du bourdonnement de la ville, l’air se rafraîchit et sent la terre humide. Arrivés sur la rampe de lancement, il y a déjà une file indienne de deltaplanes installés attendant l’envol et des touristes flageolants qui font les cent pas. Juste en dessous, l’air de décollage des parapentes. La vue sur la plage et la baie est vertigineuse, magnifique. Nous prenons notre tour, le soleil va bientôt se coucher et nous occupons l’attente par quelques consignes et l’harnachement de rigueur. Puis enfin… quand faut y aller, faut y aller ! Le deltaplane est un gros engin complexe à manœuvrer, il n’est pas question d’hésiter, sinon c’est gadin au bout du ponton, et ça, c’est pas une option.

Courir sans s’arrêter, en regardant droit devant, pour essayer d’aller attraper l’horizon maritime avec ses pieds. Youhouuuu! Je crie comme une dératée, ma bouche est déformée par le sourire jubilatoire qui s’accroche aux oreilles, juste le temps de réaliser que je suis vivante, en l’air, et que pour ça tient… J’oublie que je me sens comme un sac à patate avec les jambes tremblantes qui pendouillent dans le vide pour m’en mettre plein les yeux. Quelle délicieuse sensation forte, pouvoir tourner comme un oiseau au dessus de Rio, voisiner dans les nuages avec le Christ du Corcovado, s’offrir un autre point de vue !

J’observe l’alternance des favelas et des grattes ciels, petites bicoques de bric et broc agglutinées sur les collines contre tours cossues érigées sur le plat. Des mondes qui s’intercalent dans des zones bien délimitées, vu du ciel ça saute aux yeux. J’admire la forêt, majestueuse, préservée, dominante avec ses têtes rocheuses, quelle luxuriance ! Le regard porte loin et permet ’appréhender l’immensité sophistiquée de la baie de Guanabara. Le site naturel de cette ville est exceptionnel : quelle émotion ça a du être pour ceux qui sont arrivés par la mer il y a bien longtemps…Même à cette altitude, l’air est doux sur les épaules et les  mollets nus, la chaleur tropicale est palpable. Je me demande ce qui est passé par la tête de cet explorateur français qui a fondé ici une éphémère colonie française. Comment ce De Villegagnon a pu baptiser cet endroit d’un nom aussi glacial que la France Antarctique ! Quelle drôle d’idée ! Peut être, comme moi, a-t-il ressenti le grand frisson ?

Gal Costa – Passarinho (petit oiseau)