Archives pour la catégorie Culture brésilienne

Téyou, tu viens?

Aaaaahhh, hourra ! Revoilà Marcel, il vient de passer près de la fenêtre !

Il n’a pas plu depuis des semaines dans la Chapada Diamantina, la vallée tire la langue, fin des baignades dans les cascades, l’eau des puits est rationnée.

Rio normal

Cascade à sec

Cascade à sec

Puit à sec

Puit à sec

Les regards se tournent vers le ciel chaque matin, chaque soir, avec inquiétude et espoir. La forêt qui entoure la maison est tellement sèche qu’on entendrait arriver un félin à cinquante mètres. Un avantage : le bruissement des branchages me sert d’alarme. Je tends l’oreille : le raffut du craquement des feuilles géantes du jaquier m’informe que j’ai de la visite. Ici, en pleine nature brésilienne, je savoure mon acuité auditive,  si handicapante en ville. Je bondis lestement de ma chaise, dans un geste calculé pour ne pas me faire repérer, et je me planque derrière la vitre afin de ne pas rater une miette du spectacle. Il est là, il se dandine, énorme, préhistorique, il doit bien faire un mètre de long et peser dans les 8 kilos. Son cuir noir tacheté de blanc ondule lentement au rythme de son avancée, il a quatre pattes griffues qui dodelinent en alternance pour déplacer son corps mouvant au ras du sol. Sa langue rose et souple s’élance par à coups pour tâter le terrain. Sa queue traine derrière et craquelle la terre nue du potager d’un sillon bien visible, indice précieux de son passage.

Marcel, c’est mon pote le Teiu (prononcez « téyou »), un lézard géant.

Marcel le teiu

Quand il est dans le coin, mon sang ne fait qu’un tour. Je laisse tout en plan et j’observe en retenant mon souffle. Marcel ne se montre pas souvent, c’est son côté reptile mystérieux, et en plus il a horreur de l’hiver tropical où les températures peuvent frôler les 10 degrés, brrrr ! Lui et moi on se comprend pour ça, on aime avoir chaud. Il sort au printemps, après avoir passé plusieurs mois dans son terrier. Là il est affamé et il a besoin de reprendre des forces rapidement. Il a bien compris que le trou du compost dans le jardin est une aubaine pour se goinfrer sans efforts. Ça sent bon la jacque, ces fruits plus gros que des ballons de rugby, réservoirs de chair douce et collante, qui explosent en tombant sur le sol et libèrent un parfum entêtant en pourrissant. Il y a des épluchures de bananes, papayes, mangues et autres légumes, ça grouille d’insectes à croquer, bref, un festin après des mois de jeûne. Une fois je l’ai surpris en flagrant délit de gourmandise alors que j’allais jeter des restes. Il a détalé, paniqué : escalade éclair des parois du trou de terre, dérapage contrôlé, accélération vers la forêt. « Relaxa Marcel ! Je n’ai pas l’intention de te manger, oui je sais le teiu est consommé dans le Nordeste, mais c’est mal me connaître. Quand je chasse ce n’est que pour le plaisir de la rencontre… »

Jaque_taille

Jacque et mangues

Teiu_compost

Marcel, je lui ai donné un petit nom (chauffe, Marcel, pour une bestiole à sang froid, c’est bien non ?) parce qu’il a beau être sauvage, ses allées et venues ont créé une relation, c’est un de mes petits copains de la forêt. Chaque jour j’espère le voir, mais je ne sais jamais s’il viendra, môssieur n’est pas un toutou domestique non plus. Il est tellement fascinant avec son look d’un autre âge, sa dégaine de gros balèze qui roule des mécaniques et sa langue pilote qui balise le trajet. Je m’émerveille de ce dinosaure des temps modernes. Je pense à lui, au fait qu’il est un lien vivant avec la nature avoisinante, un rappel que j’ai la chance de partager le même habitat. Admirer Marcel, c’est une sorte de voyeurisme de luxe : scruter à son insu un animal sauvage, quel privilège rare ! J’aime surtout la magie du croisement imprévu, la joie de la surprise, les hasards du lézard !

 Lezard_Bresil_Marcel

Bichos (« bestioles ») – Ivete Sangalo

Ivete Sangalo, une bête de scène, une des reines de l’Axé (musique populaire typique du carnaval de Salvador) chante  ici dans un registre différent, celui de la musique pour enfants pas gnangnan.

Ivete-Sangalo

Le dictionnaire amoureux du Brésil de Gilles Lapouge

Le dictionnaire amoureux du Brésil de Gilles Lapouge est un régal, une merveille qui se lit d’une traite ou se picore au gré de la curiosité. Un dictionnaire qui ressemble plus à un trésor d’histoires à voyager dans la « brésilianité » qu’ à un pavé fastidieux. Un diaporama très personnel, tendre et élégant.

Les thèmes choisis parcourent entre autres l’Histoire, la botanique, la gastronomie, la langue, la géographie, les mœurs. C’est un recueil souvent drôle, qui parle du Brésil avec légèreté et érudition. Beaucoup d’anecdotes amusantes, de portraits, de traductions permettent de s’immerger dans un contexte culturel, de comprendre comment ce pays a été façonné par son histoire.

Découvrez Gilles Lapouge, ce journaliste écrivain voyageur, dans l’émission For intérieur sur France Culture du 17 juin 2011

Gilles Lapouge

Gilles Lapouge. Dictionnaire amoureux du Brésil, Plon, 2011.

« Je connais le Brésil depuis soixante ans, jour pour jour. Il m’a toujours étonné et surpris, parfois énervé, sans me décevoir jamais. Ce dictionnaire voudrait donner à voir ses forêts du début des choses, ses eldorados, les déserts écorchés du Nordeste, la douceur de ses habitants et leurs cruautés, la volupté de Rio, de Brasilia, de Bahia, de São Luis, les fêtes et les sambas, les fascinants poissons de l’Amazone, l’aventure du caoutchouc, du café et de ce bois écarlate qu’on appelle «le bois brésil». Comme je fréquente ce pays régulièrement, je l’ai peint avec mes souvenirs. Je montre ses images. Je me rappelle ses odeurs et ses orages. Parallèlement, je parcours son histoire dont nous ne connaissons en Europe que des bribes, et qui fut brutale et fastueuse. Je parle également du Brésil d’aujourd’hui, partagé entre l’horreur des favelas et l’impatience d’un peuple qui, pour la première fois peut-être, sait qu’il est en charge de son propre avenir. C’est cela, être amoureux d’un pays. »

La littérature populaire de Jorge Amado

Jorge Amado est un des plus grands écrivains brésiliens. Bahianais, sa littérature populaire a inspiré nombre de télénovelas à succès. Il n’a pas son pareil pour vous plonger au coeur de la culture afro-brésilienne de Bahia, ses mystères, ses personnages typiques, ses tranches de vie. Ses romans sont incroyablement vivants, hauts en couleurs et très instructifs sur la société brésilienne.

J’ai particulièrement aimé ces livres :

Bahia de tous les saints : une formidable initiation à l’esprit de Bahia.

Tieta d’Agreste : un de mes endroits préférés au Brésil est sans conteste Mangue Seco, un paradis du littoral de Bahia, théâtre de ce roman original, drôle et espiègle sur les moeurs brésiliennes.

– Dona Flor et ses deux maris : ambiance de carnaval et clins d’oeil facétieux. Il en a été tiré un film de Bruno Barreto sorti en 1976 ainsi qu’une télénovela, tous deux très populaires au Brésil.

Voici la bande annonce du film :

Jorge Amado. Bahia de tous les saints, Folio Gallimard, 1981.

« Dans le Brésil du Nord-est, le picaresque Antonio Balduino incarne la peine et les rêves du peuple noir. Enfant perdu, mauvais garçon, boxeur professionnel, initié des «macumbas», travailleur sur les plantations de tabac, docker, employé de cirque, Antonio cherche toujours «le chemin de la maison». Il a des amours – irréelles – avec la blanche Lindinalva et une liaison avec la trépidante Rosenda Roseda. Une grève lui permettra de découvrir ce qu’est la solidarité et donnera un sens à sa vie : la lutte pour la libération. »

Jorge Amado. Dona Flor et ses deux maris. J’ai lu Roman, 2012.

« Bahia, jour de carnaval. Après un énième excès, Vadinho, joueur et coureur invétéré, s’effondre en pleine rue, laissant derrière lui une veuve éplorée, la belle dona Flor. Appréciée de tous, cuisinière émérite, dona Flor se console rapidement en épousant le très respectable docteur Teodoro. Mais cette existence calme et ordonnée vole en éclats le jour où la jeune femme trouve Vadinho étendu, nu, sur son lit. Invisible à tous, l’homme s’est réincarné pour la seule dona Flor et entend bien jouir de ses droits de mari. »

Jorge Amado.Tieta d’Agreste.Stock, collection la Cosmopolite, 2007.

« Adolescente, la charnelle chevrière Tieta a fui les collines d’Agreste sous l’opprobre publique et le bâton vindicatif du vieil Esteves, son père. Trente ans plus tard, en femme influente de Sao Paulo, elle regagne le paradis perdu de sa bourgade natale, dans la province de Bahia. Les habitants d’Agreste, mus par divers intérêts, semblent alors décidés à faire table rase du passé pour accueillir comme il se doit la riche veuve Antonieta Esteves Cantarelli. D’emblée, Tieta est consacrée figure tutélaire de la petite communauté, catalysant les fantasmes d’une vie meilleure et fastueuse, marquée au sceau du mythe du progrès urbain. C’est pourtant la même Tieta qui, lorsqu’une industrie chimique menace de s’installer sur la plage paradisiaque du Mangue Seco, devient à son insu le porte-flambeau voluptueux d’une cabale menée contre l’usine et son cortège de maux: la pollution et la corruption. Mais comment réagiront les protégés bien-pensants de la Pauliste quand ils découvriront que derrière une façade de joyeuse respectabilité se dissimule une tenancière de maison close au service des millionnaires, qui, loin d’avoir étouffé sa sensualité, dévoie chaque nuit son chaste neveu promis au séminaire? »