Archives pour la catégorie « Mon » Brésil

Fitas Senhor do Bonfim_1

Faites un voeu!

Mes premières négociations commerciales datent de la mode des bracelets brésiliens, je devais être en CM2. Ces ornements faits maison, tressés en fil de coton, aux bandes colorées alternées ou motifs géométriques plus élaborés, s’attachent au poignet en faisant un vœu. J’étais fascinée par ce petit rituel votif, j’aimais l’idée de porter une intention et la voir évoluer.

Le porte-bonheur flambant neuf vit sa vie, exposé aux douches, frottements, contacts répétés et titillements du porteur. Un jour il finit par tomber, on ne sait jamais quand, et alors opère la magie, la réalisation du vœu. Rien ne sert de forcer les choses, évidemment si on le découpe ça ne marche pas !

Bracelets brésiliens tressés_1

J’avais repéré une fille de 3ème qui vendait les bracelets à prix d’or (2 francs) aux nabots de l’école primaire. Je lui ai fait quelques achats qui valaient alors leçons de business : valider une date de livraison, s’assurer du cahier des charges, relancer avant l’échéance, évaluer le produit à la réception… Bref, très vite j’ai eu envie d’autonomie et j’ai mis à profit toutes les occasions pour apprendre. Dès que je voyais un porteur de bracelets c’était : « tu sais les faire ? tu m’apprends ? » Et oui à l’époque il fallait se débrouiller sans Google.

Et c’est comme ça que j’ai mis les pieds dans une mercerie pour dénicher la matière première et que j’ai rejoint la bande des artisans des bracelets brésiliens. Le Brésil à ce moment était bien loin de mes préoccupations. Je crois même que je ne me suis pas penchée sur le sujet avant le bac, quand j’ai affiché une carte du Brésil (et le sujet d’annales associé : « Brésil, un nouveau géant ? ») sur la porte des toilettes pour réviser l’histoire-géo.

Peu à peu la mode est passée et l’adolescence a fait le reste, les bracelets brésiliens ont été relégués aux oubliettes.

Des années  plus tard, quand j’ai débarqué à l’aéroport de Salvador de Bahia et qu’une grande mama noire habillée en bahianaise m’a accueillie en me nouant un bout de tissu de couleur autour du poignet, j’ai replongé !

La « fita », c’est le nom que l’on donne à ces petits rubans votifs sur lesquels est écrit « Lembrança do senhor do Bonfim », souvenir ex-voto pour les fidèles venus payer leur promesse en remerciement d’une guérison auprès de la statue de Jésus Christ Seigneur de Bonfim (Seigneur des belles fins), du nom de la plus célèbre église de la ville. Chaque couleur symbolise également un des « Orishas » (divinités africaines importées par les esclaves Yoruba), ce qui fait de la « fita » une représentation symbolique intéressante du syncrétisme religieux typique des racines africaines de Bahia. Galvaudés par les hippies et vendus aux touristes, ils sont devenus un emblême de l’état de Bahia et sont reproduits sur les articles de souvenirs jusqu’à l’écoeurement.


J’ai pris plaisir à prendre tout ça très au sérieux, tout de suite… J’ai fait trois vrais vœux, gardés secrets, un par noeud magique, en fermant les yeux et en y croyant de toutes mes forces. Il est tombé tout de suite ! Je ne sais plus si le vœu s’est réalisé, mais je m’en fiche, ce que je préfère, c’est le rêve.

L’année d’après j’ai osé 2 bracelets, un rouge et un bleu. Le rouge a duré un mois et m’a comblée. Le bleu, lui, a pris son temps pour relever le défi, tout propre au début, lumineux, avec son inscription en noir bien lisible. Et puis la couleur est passée, les lettres se sont effacées, le bout de tissu effiloché est devenu un truc informe…J’ai résisté à l’arracher, parce sinon, pffffiout, finie la féérie ! Deux longues années à me trimballer un bout de fil douteux au poignet…c’est que le challenge était audacieux, mais croyez moi, je ne l’ai pas regretté.

Découvrez : 

Seu Jorge et Vanessa da Mata, parmi mes artistes brésiliens préférés, réunis pour chanter

« Boa reza » (sourire, danser, ça c’est une bonne prière)

Maria Bethania, une grande dame de la chanson brésilienne

Brincar de viver (jouer à vivre) – pour ne pas prendre trop la vie au sérieux…

Havaianas

T’as tes tongs?

J’ai toujours aimé les tongs. Gamine, ça voulait dire les vacances au soleil, au chaud, les petits pieds tous blancs en liberté dans le seul modèle de l’époque, une lanière en tissu arc en ciel reliée à une semelle noire au couinement spongieux. Je trainais mes savates à la mer ou à la piscine, dans les pinèdes, la garrigue ou les vignes, environnements alors synonymes de paysages aux odeurs et couleurs très exotiques pour une jeune normande.

« T’as tes tongs ? » ça sonne bien ! Les pragmatiques anglais les appellent « flip flop », les canadiens eux disent « gougoune », là j’ai du rater quelque chose. Pour moi, entendre à mes pieds leur « clap clap » si caractéristique dans mon appartement parisien a toujours eu un effet pavlovien de détente immédiate. J’ai essayé différents styles : en plastique odorant chinois, à sequins balinais, zori japonaises en paille, en cuir du Maghreb, sud-africaines increvables en pneu… sans pour autant succomber aux claquettes, je tiens à le préciser ! Impossible de chausser ces vilaines cousines éloignées dont la bande velcro horizontale sous les orteils évoque pour moi les cures thermales ou les embouteillages d’estivants sur la côte d’Azur.

Au Brésil, premier producteur mondial, la référence en la matière (caoutchouc) est la marque Havaianas, lancée dans les années 60, et dont le nom est presque devenu un générique pour les « chinelos», les tongs en portugais. Comme les brésiliens sont fiers du « made in Brasil », les Havaianas se retrouvent parmi toutes les classes sociales. Il y en a pour tous les goûts et à tous les prix : basiques, colorées, décorées, compensées, accessoirisées… Leurs semelles sont usées dans tout le pays : blanches tout terrain achetées au supermarché du coin ou talons chatoyants et dessus strass de couleur assortie à la manucure …

Au paradis de la tong, hommes et femmes vont nu-pieds toute l’année, sans avoir l’air de touristes ou de glandeurs asociaux. Surement une des raisons pour lesquelles au Brésil, je me suis sentie tout de suite à l’aise dans mes pompes.

Havaianas chegueiii Havaianas globe trotteuses

Sandália de prata (sandales d’argent) – João Gilberto

cidade_de_deus Dadinho

Ceci est une attaque!

Ça fait quoi d’avoir un gun braqué sur ta face ? Un gamin aux yeux écarquillés, affolés, apeurés, fous, qui agite une arme sous ton nez ? Il a déjà perdu les pédales, on dirait qu’il le sait, qu’il est dépassé, et que de toute façon il n’a plus rien à perdre. Il me regardait comme s’il était surpris, j’ai eu l’impression que ma blancheur aux yeux bleus l’avait dérouté, comme s’il avait vu la Vierge ou Iemanja. Tout est arrivé si vite et si consciemment. Il se passe tellement de choses en un instant.
Analyse de la situation, sang froid, calme plat, surtout ne pas prendre une balle. Surtout calmer le jeu, surtout ne pas le surprendre, surtout faire très attention, comme avec de grands malades mentaux imprévisibles. Car c’est la folie pure qui est là, armée, pleine de crack, insensée, démente, irréaliste. Ils sont deux. Celui qui a le flingue, marionnette condamnée d’avance, exécuteur drogué des ordres d’un autre à peine plus vieux, à peine pubère. Celui-là joue l’habitué, débite sa litanie comme une routine, avec un air presque blasé et satisfait du pouvoir de la peur. Il énumère les ordres : « montres, bijoux, téléphone portable, argent, donne tout ce que tu as ». Il a la main dans la poche, et son arme au bout du bras de son larbin.
Je ne crie pas, je ne veux pas résister, je veux sauver nos peaux et rien d’autre n’a d’importance. Je me mets à poil s’il le faut, mais qu’ils ne touchent pas au sacré, pas au corps, pas d’atteinte irréversible, pas de violence sans retour.
Le pétard s’agite devant mon ami, nous sommes extrêmement connectés dans la déroute, la stupeur nous unit et nous fait réagir en communion. Il jette le sac à dos « tout est là, prenez tout ». Les mômes sont presque surpris, c’est trop facile, il y a tout, comme ça ? Alors ils vérifient, le flingue désigne les endroits qui pourraient encore dissimuler du fric, les poches, le ventre : « est-ce que tu es bien sur que tu ne caches rien ? » Et le flingue qui se ballade. Je n’ai rien à donner pour les rassasier. J’étais partie les mains vides, tout dans le sac. Et cette fois là bien sur, comme la tartine de confiture, beaucoup de choses dans le sac. L’oubli des règles de base et la sanction immédiate. Pan plus de cash, bing plus d’Iphone, paf plus d’objets repères du voyage, mais c’est sans importance. J’ai une bague en argent achetée en Bolivie, elle a une histoire, aucune valeur autre que celle de sa relation avec moi. Je l’enlève, la dépose dans ma main comme une offrande, avance doucement le bras, et envoie la plus grande énergie de calme et de douceur dont je suis capable. Comme une absolution. Je veux surtout qu’il arrête de viser le corps de mon homme avec cette arme.
Après je ne sais plus, ils se sont envolés comme des moineaux. Je me souviens de nos corps qui se serrent, de la gratitude d’être chauds et en vie, sains et saufs. Puis tout doucement, le bilan. Ben voila ! On n’a pas l’air cons, on s’est fait avoir comme des bleus, comment est-ce qu’on a pu se faire piéger comme des débutants ? Se sentir nue, vulnérable, si fragile. Sentir la terreur, après, en contrecoup, qui se mélange à la colère, à la rage, à la culpabilité d’avoir baissé la garde, même quand on vit ici. En vouloir au Brésil et son système corrompu et tellement pourri qu’il crée ce genre de possible. Des gamins qui n’ont rien à perdre, qui n’ont pas d’alternative. Se méfier de l’aubergiste en se demandant s’il n’est pas complice, s’il n’a pas prévenu les agresseurs de notre passage dans cette rue à la tombée de la nuit sur le chemin du centre ville. L’entendre dire que ce genre d’attaque est fréquent, d’ailleurs c’est arrivé la semaine dernière, et hurler d’impuissance et de colère parce qu’il n’a même pas prévenu. On a failli y passer merde ! Refuser d’aller chez les flics parce qu’on n’a pas confiance, on n’y croit pas, et que là avant tout, on a besoin de réconfort.
Plus tard en parler, croiser les regards pudiques des habitants. Résignation ? Honte ? Démission ?
Une station balnéaire avec une favela à l’entrée et des hôtels 5 étoiles barricadés en front de mer, le choc des conditions, terreau parfait pour la frustration… L’intuition nous avait prévenus… l’endroit avait une atmosphère qu’on n’avait pas sentie… et puis, comme parfois en voyage, la fatigue fait faire les mauvais choix, on ne suit plus le feeling… Et on se fait rattraper par une réalité brésilienne.
Finie la lune de miel avec le pays. La relation se poursuit, mais se rééquilibre. Contact avec l’ordinaire : scènes de violence de rue diffusées en continu par les télévisions omniprésentes dans les lieux publics, banalisation des armes, crimes non résolus, agressions… Et voila c’est arrivé.
Au Brésil il faut apprendre à vivre avec la violence. L’intégrer dans sa routine, la supporter, ne pas la nier, ne pas l’oublier. Parce que statistiquement, elle va vous surprendre, à un moment ou à un autre. J’essaie d’oublier la sidération, la colère, la rage impuissante, la révolte, le dégoût. L’émotionnel brésilien n’est pas toujours teinté de légèreté, de festivité réjouissantes, il peut aussi se révéler d’une extrême brutalité, et sans ménagement, il vous rappelle que le paradis a un prix.
Alors ça fait quoi d’avoir un gun braqué sur ta face ? Peur, et ça fait réfléchir parce qu’aucune plage au monde ne justifie de risquer sa vie et ça fout la haine contre le système. Et encore, moi si je veux je ne fais que passer, je me réfugie en France. Je me souviens de conversations avec des brésiliens saturés de vigilance, qui rêvent d’un ailleurs, et en perdent toute mesure : ici c’est une vie de merde dans un pays de rêve, vous avez une vie de rêve dans un pays de merde…Réalité douloureuse versus clichés de cartes postales…
Les récentes manifestations m’ont donné envie d’y croire, j’étais presque rassurée de cette contestation sociale. Et pourtant, le soufflé semble déjà retomber. Que faudra t-il pour que cela change ?

Violência (violence) – Titãs